L’écrivain doit-il obéir à ses personnages ?

Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée m’horripile de manière disproportionnée.

Je lis en ce moment un guide d’autoédition américain intitulé « Write. Publish. Repeat ». Bon, je n’en suis pas un énorme fan, notamment parce que je trouve que le guide parle un peu trop de tout et qu’au final il ne parle de rien, mais ça reste quand même intéressant (je suis assez cartésien en la matière, j’aime bien les guides plutôt froids et qui avancent leur thèse partie par partie. Là c’est beaucoup plus léger). Néanmoins, une partie m’a fait sauter au plafond.

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Cela commence de manière très sensé, l’auteur argumentant dans une section consacrée à l’écriture que l’écrivain peut modifier l’environnement, mais pas les personnages. L’idée est que faire faire à son personnage un acte qui va à l’encontre de la personnalité qu’on lui a donné jusque-là enlèvera toute crédibilité au personnage et « sortira » le lecteur de l’histoire. L’exemple donné par l’auteur est celui d’une mère depuis le début du bouquin extrêmement attaché à son enfant, du genre « mère poule », qui voit son enfant tomber malade, mais l’abandonne pour aller à Chicago. Ça n’a aucun sens, ça sort le lecteur de l’histoire. Jusque-là, aucun problème.

Mais juste après, l’auteur va plus loin, en affirmant que l’écrivain doit obéir à ses personnages.

Il y a un paquet de trucs qui ne va pas avec cette affirmation. Il y a l’évidence, d’abord : les personnages n’ont aucune existence. Toutes leurs pensées, toutes leurs actions, sont le fruit de la réflexion de l’auteur. Je répète : l’auteur décide d’absolument tout, il est le maître suprême, le Dieu, celui qui fait le jour et la nuit.
Alors oui, je sais bien ce que vous allez me dire. Moi aussi j’écris, et moi aussi il m’arrive d’écrire des choses que je ne m’étais pas attendu à écrire, de donner des pensées à mon personnage que je ne m’étais pas attendus à lui donner, de lui faire commettre des actes que je ne m’étais pas attendu à lui faire commettre.

Mais ça n’est pas parce que mon personnage a une existence ou parce que je lui obéis. Ça parait évident et même stupide, mais cette idée de l’obéissance aux personnages est tellement courante que je me sens obligé de le préciser.
Ce qui se passe, c’est que quand on écrit, notre esprit se focalise sur le ou les personnages. On se met à réfléchir à ce que seront leurs pensées, leur mentalité, et au final on acquiert une véritable empathie pour le personnage. On est dans une sorte de « bulle » ou l’on possède une bonne compréhension des envies, désirs et motivation du personnage que l’on est en train d’écrire. C’est très important, parce que ça va permettre de lui donner une véritable personnalité, et de faire que ses actes soient en accord avec sa personnalité. Et c’est lorsqu’on est dans cette « bulle » que l’on va parfois réaliser que l’action que l’on voulait lui faire faire quelques heures plus tôt n’est en fait pas logique considérant sa psyché, ou même qu’une action plus logique peut la remplacer. On peut alors modifier ce qu’on avait prévu d’écrire à la base.
MAIS C’EST TOUJOURS L’AUTEUR QUI CONTRÔLE. C’est toujours lui qui décide si le personnage va aller à droite ou à gauche, s’il va poignarder cette grand-mère ou l’aider à traverser, s’il va réussir l’atterrissage de la navette ou se ramasser par terre en se vomissant sur le tapis.
C’est d’autant plus important qu’il y a plusieurs actes possibles pour une même personnalité. L’idée qu’il faille obéir à ses personnages, quitte à changer l’histoire si nos personnages décident quelque chose qui va complètement à l’encontre de cette dernière, implique que notre personnage est sur une espèce de rail et qu’il n’y a qu’une seule bonne décision possible. Mais ce n’est pas vrai ! L’être humain est complexe et en fonction des circonstances, de l’état de la personne et de son environnement (et tiens, on en revient au conseil de l’auteur de modifier l’environnement et pas le personnage), plusieurs décisions très différentes peuvent toujours coller avec la personnalité du protagoniste.

Je trouve enfin cette idée un peu fainéante, dans le sens qu’elle permet à l’auteur de se déresponsabiliser. L’histoire finit en queue de poisson complète ? C’est pas de ma faute, c’est mes personnages qui l’ont décidé !
Sauf que non coco, c’est bel et bien toi qui l’a décidé. Tout comme un réalisateur décide de tout ce qui passe devant sa caméra, l’écrivain décide de tout ce qui se retrouve sur la page.

Il ne s’agit que de quelques réflexions ruminées quelques jours et tapées très rapidement. Je ne prétends donc pas mon argumentation infaillible, et je serai évidemment très curieux d’avoir vos opinions sur le sujet. N’hésitez donc pas à vous exprimer, je vous promets que si j’ai l’air un peu rageux dans cet article, je serai extrêmement cordial dans d’éventuels commentaires.

2 réflexions sur « L’écrivain doit-il obéir à ses personnages ? »

  1. Bonjour.
    Je suis entièrement d’accord avec vous sur la façon dont la relation d’un auteur et ses personnages. Comme vous, je laisse une part de liberté aux personnages notamment dans les dialogues ou leur mode de pensée dans une situation donnée. Après cette liberté est enfermée dans le cadre d’un plan rédigé largement en amont, plan qui a sa cohérence globale et son équilibre. Laissez un personnage faire ce qu’il veut, c’est foutre en l’air ce plan, ce qui est généralement une très mauvaise idée. Après tout, on ne passe pas des semaines et des mois à parfaire les fondations d’un roman pour que le premier guignol venu en décide autrement sous prétexte que ça lui conviendrait mieux de faire ci ou ça à tel ou tel moment (ou alors le plan était déjà foireux par manque de réflexion et l’écriture commencée trop tôt).
    La méthode d’écriture de l’auteur du livre me semble bien chaotique pour avoir une cohérence, donc l’intérêt du lecteur, sur la durée. Ecrire à la one-again < Ecrire avec des objectifs. 🙂

  2. Vous faites une très bonne remarque sur la question de la planification : je pense que les gens qui ont tendance a adopter ce concept de « laisser les personnages faire ce qu’ils veulent » sont aussi ceux qui ont tendance à mépriser les plans, préférant écrire sans savoir réellement ce qu’ils vont faire.

    Ca peut après tout se défendre (je crois fermement qu’en littérature, seul le résultat compte : si vous parvenez à écrire un chef d’oeuvre sans rien planifier, continuez à ne rien planifier !), mais j’ai aussi remarqué une certaine méfiance à l’égard des plans (c’est pas vu comme artistique) qui est à mon sens dommage. Je pense que j’écrirais un autre article sur cette question tiens 🙂

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